Minga, associé fondateur de la coopérative Pointcarré. Produire des biens communs pour refaire commune.

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La coopérative Pointcarré est le fruit d’un long compagnonnage de Minga et de la communauté d’agglomération Plaine Commune 1qui s’est notamment traduit par notre implication, depuis la création de l’événement en 2006, dans la « Foire des savoir-faire solidaires de Saint Denis » . Une implication qui a nourri notre réflexion et contribué à l’évolution du positionnement de Minga du commerce à l’économie équitable en nous ouvrant plus largement aux mondes du travail et des métiers.

Les échanges avec des partenaires impliqués dans cette foire, comme notamment Andines, la coopérative Coopaname, Artéfact 93, Déchets d’art, Apij Bat, ont contribué à faire émerger une volonté partagée de se penser comme promoteur d’une économie de proximité fondée sur la valorisation des savoir-faire pour renforcer la capacité des habitants d’un territoire à produire, créer et réparer en ville, à agir ensemble pour éviter que, sous la pression foncière, toute friche industrielle ait vocation à devenir des Lofts !

De cette volonté commune est née la coopérative Pointcarré.

Point carré, pour Minga, c’est un lieu de promotion d’une culture populaire de coopération qui permet de ré-interroger collectivement les modes de production et d’organisation du travail, que l’on ait un emploi ou que l’on en soit privé, que l’on soit actif ou à la retraite, étudiant ou en formation, salarié ou à son compte, que l’on travaille dans le secteur public ou privé ou que l’on soit, simplement, amateur de beau geste et de bel ouvrage. C’est un lieu à partir duquel l’on réinvestit la question du travail en défendant une approche large des métiers telle que l’aborde Richard Sennett : «un élan humain élémentaire et durable, le désir de bien faire son travail en soi [qui] va bien plus loin que le travail manuel qualifié »2. Une approche qui, associée aux nouvelles techniques de production rendues possibles via les technologies numériques, ouvre des perspectives politiques concrètes en matière de progrès social en remettant en cause :

  • l’organisation du travail (et une division internationale du travail) qui dissocie totalement les taches de conception et de mise en œuvre (néo taylorisme appliqué à une filière d’activité).

  • Les droits de propriétés intellectuelles qui restreignent le partage, la diffusion et la production de connaissances, sans garantir ni la rémunération du travail de conception et de recherche, ni la capacité des populations à produire des biens matériels et immatériels là où s’expriment des besoins; qui réduisent, globalement, la liberté d’entreprendre.

  • les circuits de diffusion et de commercialisation soumis à un système de marketing de masse qui prétend connaître les besoins des populations avant même qu’ils s’expriment

  • les logiques de concentration horizontale (franchises) qui nuisent à la création.

Pour Point carré, les réalités économiques et sociales du territoire qui génère des niches de gentrification d’une part et des tensions sociales, inter-culturelles, inter-ethniques… d’autre part, sont aussi des sources de réflexions, de créations et d’innovations.

Le premier besoin exprimé par les promoteurs du projet, est l’accès à un espace de vente permanent qui puisse mettre en valeur le travail des artisans créateurs du territoire et permettre une commercialisation mutualisée. Les locaux de la coopérative, qui offrent notamment un espace boutique de 100 m2, à proximité du musée d’arts et d’histoire de Saint Denis et des réseaux de transport, s’y prêtent.

Le second est d’être un lieu de dialogue entre des savoir-faire de métiers et l’expression artistique, en sorte que le bel ouvrage ne soit pas uniquement une affaire de décor et de conditionnement, de divertissement, l’expression d’une domination de classe, mais s’intéresse aux usages et aux besoins quotidiens des habitants. Point carré défend le design comme un process de production qui se mesure à l’objet, à son sens, à son caractère social, à sa fonction technique et à son économie.

Le troisième est de favoriser des liens de coopération d’entrepreneurs travailleurs indépendants autour de l’accompagnement économique de leur projet pour permettre de dégager un revenu décent de rétribution de leur travail, afin de ne pas se résigner à n’avoir comme solution que de se précariser pour se réaliser (ou, quand c’est possible, de vivre avec les revenus du conjoint pendant des années pour financer son outil de travail…). De travailler une protection sociale de plus haut niveau attachée au travail, et d’apprendre à travailler ensemble et pas uniquement en nom propre. Les dispositifs actuels de création d’entreprise, polarisés essentiellement sur la mise en marché des produits, négligent les questions de contraintes de production et de maîtrise d’un savoir-faire métier. Centré sur l’individualisation, les dispositifs classiques d’accompagnement à l’entrepreneuriat favorisent davantage la mise en concurrence des travailleurs que d’apprendre à produire et à entreprendre ensemble.

Le quatrième, et non des moindres, repose sur la question des enjeux liés au développement des machine-outils numériques (imprimante 3D, découpeuse laser, fraiseuse de précision, découpe vinyle).Plus qu’une révolution industrielle, c’est avant tout le prolongement d’une mutation radicale du capitalisme qui est à l’œuvre. Car c’est moins sur le contrôle de la production industrielle que sur le contrôle de l’économie de marché que se fera la recherche de profits en rapprochant les process de production des zones de consommation. Cette évolution du capitalisme se fait par la mise en place d’enclosures3 (impossibilité de modifier un logiciel et de soulever le capot d’une machine pour comprendre son mécanisme). En n’ayant plus la possibilité de façonner l’outillage à son ouvrage, l’artisan en est réduit à être un opérateur. Le couplage de ces machines-outil numériques avec des créations et des productions publiées sous licenses creative commons est donc un enjeu professionnel (valoriser les savoir-faire et les métiers d’un territoire, créer de l’emploi, penser des modes de rétribution décente du travail de conception et de recherche sans privatiser les moyens de production… ) et politique (défendre les libertés individuelles et la démocratie) de premier plan auquel Minga ne peut qu’être extrêmement sensible. Au delà des enjeux liés au développement économique des artisans et créateurs du territoire (fabrication de prototype, réparation, production de petite série), en donnant accès à un atelier de production, la coopérative offre également la possibilité d’activer une culture oeuvrière commune à l’ensemble des habitants pour concevoir, créer et réparer des objets, et contribuer à endiguer l’obsolescence programmée des objets industriels.

Enfin le voisinage avec le musée d’arts et d’histoire de Saint-Denis estA4565_2_medium2 une opportunité pour travailler de nouvelles formes de valorisation d’un patrimoine, commun au plus grand nombre. La richesse des collections archéologiques qu’il abrite, s’étendant du Moyen Age à l’ère industrielle, incluant un fond unique sur le Siège de Paris de 1870 et la Commune de Paris de 1871, sont des trésors aujourd’hui peu connus, qui peuvent être source d’inspiration, de créativité, d’innovations utiles. Un partenariat Point Carré/musée est une façon d’incarner l’engagement que nous défendons de promouvoir la convention-cadre sur la valeur du patrimoine culturel pour la société dite « Convention Faro » du conseil de l’Europe. Son grand intérêt est de rappeler le principe selon lequel la conservation du patrimoine n’est pas une fin en soi mais une démarche, à partager avec les citoyens, qui a pour objet de contribuer au bien-être des personnes et à des attentes plus larges de la société. Ce partenariat est une base pour reconsidérer la notion de patrimoine culturel en y incluant le développement des « biens communs »

L’ouverture du lieu est prévue pour le premier trimestre 2016. Nous y sommes associés, nous prendrons notre part à son développement, dans la volonté de voir émerger d’autres lieux de cette nature et d’agir ensemble pour partager plus largement nos réflexions avec le monde du travail et des métiers.

Pour découvrir la coopérative Point carréhttp://www.pointcarre.coop

1 407 000 habitants regroupant 9 communes (Saint-Denis , Aubervilliers, La Courneuve, Épinay-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Ouen, Stains,Villetaneuse)

2 « Ce que sait la main. La culture de l’artisanat », Richard Senett, Albin Michel, 2010.

3 enclosure est un terme anglais qui désigne l’action d’enclore un champ, une forêt. Le terme fait référence à un acte de l’aristocratie anglaise qui ferme l’accès de ces champs par des haies et des murets aux éleveurs au XVI siècle, pour faire valoir leur droit de propriété de la terre, qui auparavant était gérée en commun. Les enclosures ont appauvri les paysans devenue une classe laborieuse condamné à vendre leur force de travail dans des filatures pour survivre au début de l’aire industrielle. Les lois anglaises de criminalisation de la pauvreté qui ont accompagné les enclosure ont structuré un marché du travail qui est au fondement du capitalisme moderne. Dans un ouvrage économique intitulé «The Tragedy of the Commons » publiée en 1968, son auteur Garrett Hardin théorise que la recherche de l’intérêt individuel permet de gérer efficacement une ressource limitée et qu’il ne peut y avoir de modèle économique pertinent sur la base d’un bien commun. Théorie qui a été totalement remise en question par Eleonor Orstom et Oliver Williamson, dont les travaux leur ont valu le prix Nobel d’économie 2009.