Artisan semencier : un métier à conquérir

L’artisan, peu importe sa spécialité, est avant tout un être humain.
Il embrasse tous les aspects de son activité. Depuis l’idée jusqu’à sa réalisation, il prend la responsabilité de chacune des étapes qu’il met à l’épreuve, par son corps, ses mains, son esprit. C’est pour ces raisons que son travail est de grande qualité car s’il néglige une des étapes, il en assume toutes les conséquences…

Le métier d’artisan semencier oblige à connaître le sol (pas qu’en surface) et le climat avec lesquels il travaille, dans toutes leurs diversités, leurs complexités et leurs évolutions ou changements permanents ; c’est un monde à part entière, vivant, donc en mouvement. Entre inquiétude et émerveillement, c’est un métier qui engage à cultiver un sens aiguisé de l’observation, y compris de soi-même dans la relation aux autres êtres vivants. Il appelle à connaître les plantes, les variétés cultivées (et celles qui se cultivent à leur côté), leurs caractéristiques, leurs goûts, leurs aspects, leurs odeurs, leurs besoins, leurs faiblesses; à les observer, à noter les différences d’un porte graine à l’autre, d’une parcelle à l’autre, d’une pratique culturale à l’autre, d’une année sur l’autre… Et en fonction des critères que l’artisan semencier s’est fixé, de son sol, de son climat, de la plante… Il va sélectionner les fruits dont il récoltera les graines : pour leur aspect, leur goût, leur couleur, leur odeur, leur port, leurs résistances…

Voilà ce qu’est, en partie, le travail de l’artisan semencier : un travail, et non une activité bénévole ou un loisir, qui demande du temps, de l’observation, un savoir faire et de l’expérience. Un travail dont le but est d’obtenir des graines de qualité, vivantes, qui donneront des plantes qui nous régalent de leurs diversités de goûts, de couleurs, d’odeurs et de formes.

Mais c’est aussi la perte de récolte partielle ou totale due aux catastrophes naturelles (grêle, inondations, sécheresse) ou aux animaux (escargots, sangliers, blaireaux, biches, lapins,…). Travailler avec le vivant nécessite de composer avec tous ses aspects, lumineux et sombres, menant à la vie mais aussi à la mort. C’est aussi les factures à payer quoi qu’il arrive (MSA, assurances, frais bancaires, certification Bio, terreau, carburants,…etc, etc…) et des investissements à faire pour avoir un outil de travail suffisant (bâtiments, serres, système d’irrigation, tracteurs, clôtures, outils divers, …etc…etc), et pouvoir prendre en considération le corps qui coince, le dos qui bloque, le tracteur qui tombe en panne, la pompe qui lâche en pleine sécheresse, les enfants qui sortent de l’école, la marmite à faire bouillir, les journées qui ne font que 24 heures… et le jour qui se lève, quoi qu’il arrive.

Le discours ambiant refuse d’examiner les conditions matérielles d’existences de ce métier. C’est comme si nous servions une cause, un idéal fantasmé de reconversion professionnelle où chacun pourrait se projeter mais sans voir les réalités auxquelles il faudra faire face. Or la réalité aujourd’hui, c’est que ce métier, comme beaucoup d’autres, ne paye pas. Sa réalité aujourd’hui, c’est que, face à la précarité de ses conditions d’existence :
• soit on tente de s’en accommoder en cherchant des bidouilles et des emplâtres pris dans les urgences d’une vie précaire, en se sentant coupable de ne pas assurer sur tous les fronts.
• soit on considère que les conditions d’exercice du métier dépendent du revenu de son conjoint, d’un héritage, d’une autre activité à côté (si on en trouve le temps)
• soit on s’organise en syndicat, pour que ce métier soit accessible à toutes et à tous.

Malgré son importance, malgré son caractère d’intérêt général, le métier d’artisan semencier n’est, aujourd’hui, toujours pas reconnu.

Parce que nous ne pouvons pas produire en grandes quantités, sans risquer de voir la qualité de nos productions disparaître ; parce que nous engageons nos corps et leur vulnérabilité ; parce que notre métier est indispensable à la sauvegarde d’une biodiversité cultivée, vivante et donc en mouvement ; parce que nous refusons de privatiser et d’industrialiser le vivant, notre travail aujourd’hui, c’est aussi de se battre pour que ce métier soit reconnu comme un métier, pas comme une vocation.

Sophie Banzet,
artisane semencière et syndicaliste,
productrice pour « Graines del Païs »,
membre du Syndicat des Artisans Semenciers (S.A.S)